La gazéification hydrothermale, une filière d'avenir pour la transition énergétique
À l’occasion du salon Bio360 Expo, Frédéric Julliard, directeur général de la startup suisse TreaTech, et Wout de Groot, directeur du business développement de la société néerlandaise SCW Systems, nous ont parlé de leur vision de la filière et de leurs avancées.
« La gazéification hydrothermale est un procédé physico-chimique qui permet de transformer différents types de déchets et résidus de biomasse humides ou liquides en gaz renouvelable riche en méthane, en les soumettant à une haute pression et à une forte température. »Frédéric Julliard
Directeur général de la startup suisse TreaTech
Qu’est-ce que la gazéification hydrothermale ?
Frédéric Julliard (FJ) C’est un procédé physico-chimique qui permet de transformer différents types de déchets et résidus de biomasse humides ou liquides en gaz renouvelable riche en méthane, en les soumettant à une haute pression et à une forte température. Cette solution permet également de récupérer les sels minéraux des intrants pour les valoriser sous forme d’engrais et de recycler l’eau qui compose ce type de déchets à plus de 80 %. Elle permet de convertir une station de traitement des eaux usées en une usine d'économie circulaire.
Woot de Groot (W de G) Les vertus de cette technologie sont multiples : elle convertit en gaz la quasi-totalité du carbone contenu dans les déchets et récupère les sels minéraux et l’eau, contribuant ainsi de manière significative à une utilisation circulaire des flux de déchets. Grâce à sa vitesse de conversion (quelques minutes), à son rendement énergétique élevé et à ses installations modulaires et compactes, la technologie peut être exploitée à l’échelle industrielle. Le gaz renouvelable peut être injecté dans le réseau existant à haute pression, après épuration du gaz brut. Enfin, elle élimine toute trace de microplastiques, d’éléments pathogènes, de bactéries ou de virus.
Où en êtes-vous dans le développement de ce procédé ?
W. de G. Dès 2019, nous avons démontré notre capacité à maîtriser l’ensemble du processus de gazéification à l'échelle industrielle : mélange des matières premières, conversion, traitement du gaz et injection dans le réseau à haute pression. Nous nous concentrons désormais sur la mise en service de notre première usine de démonstration industrielle à Alkmaar, aux Pays-Bas (capacité d'environ 20 MW), dont la production devrait démarrer cet été.
F. J. De notre côté, avec l’Institut Paul Scherrer, notre partenaire académique, nous testons notre première installation pilote (capacité de 150 KW) près de Zurich. Et nous allons prochainement démarrer l’installation d’un démonstrateur pilote dans une station d’épuration municipale, qui sera testé en condition réelle sur plusieurs mois début 2023.
Quelle a été votre stratégie de développement ?
W. de G. Avec le soutien de nos partenaires, des fonds de pension et de la banque nationale de promotion, nous avons lancé plusieurs projets pilotes à grande échelle dans lesquels nous avons développé et testé la technologie. En parallèle, nous avons créé notre propre centre de recherche et notre équipe. Sur la base des résultats de SCW Research, des projets pilotes et de la première installation à l'échelle industrielle, nous disposons d'une technologie à l'échelle industrielle que nous sommes capables de dupliquer.
F. J. Pour notre part, nous avons préféré développer notre pilote en laboratoire. Cela nous a permis de collecter des données et de réaliser de nombreux tests sur différentes matières premières afin de concevoir des prototypes.
« Les règles d'injection de gaz dans le réseau à haute pression sont très strictes. Il nous a fallu un certain temps pour répondre à ces spécifications exigeantes en matière de qualité du gaz. »Wout de Groot
Directeur du business développement de la société néerlandaise SCW Systems
Pensez-vous que votre expérience peut servir au développement de la filière en France ?
F. J. Sur le développement de la technologie, certainement. La France n’a pas de technologie mais elle a une longueur d’avance avec des consultants et un réseau de partenaires très engagés. Les gaziers sont de véritables ambassadeurs et ont beaucoup à apporter.
W. de G. Les règles d'injection de gaz dans le réseau à haute pression sont très strictes. Il nous a fallu un certain temps pour répondre à ces spécifications exigeantes en matière de qualité du gaz. Car cette qualité est basée sur notre propre processus de traitement du gaz à haute pression. Aujourd'hui, notre technologie a fait ses preuves, y compris le processus de traitement du gaz. Les gestionnaires du réseau de transport et les gestionnaires du réseau de distribution pourraient étudier les possibilités de spécifications moins restrictives pour des points d'injection spécifiques, et la France pourrait être un pionnier dans ce domaine.
Comment peut-on parvenir au développement d’une filière européenne industrielle pérenne ?
F. J. Les industriels sont depuis longtemps engagés dans une stratégie zéro carbone et continuent à s’orienter vers des technologies plus durables. Du côté des municipalités, c’est l’aspect réglementaire qui va jouer un rôle clé.
W. de G. La GH est une technologie très complète, rapide et efficace : elle permet le traitement de flux de déchets contaminés humides et une conversion, en quelques minutes, de plus de 99 % de la matière organique, contre 50 % avec la fermentation. Après récupération des précieux minéraux, les résidus sont quasiment nuls. De quoi inciter les industriels, les pouvoirs publics et les collectivités à adopter cette technologie !
Donc en 2050, la GH occupera une place importante en Europe ?
W. de G. Tout à fait. Nous pourrions produire plus de 100 TWh par an uniquement à partir des boues d'épuration de l'UE, ce qui représente 5 % de la consommation européenne actuelle de gaz. Et encore, il ne s'agit que des boues d'épuration. Le potentiel est plus grand encore si l'on ajoute les résidus agricoles, les plastiques en fin de vie ou les déchets industriels, qui peuvent être convertis en gaz renouvelable avec un impact considérable sur la réduction des émissions de CO2.
F. J. Cette technologie peut et doit bénéficier au monde entier, car les boues industrielles et celles des stations d’épuration sont partout !
Pourquoi avoir participé au salon Bio360 Expo ?
F. J. Nous sommes une petite startup et nous avons besoin de partenaires industriels pour passer au niveau supérieur. Le salon Bio360 Expo nous a permis de présenter notre technologie et de rencontrer des partenaires. C’est avec le soutien d’acteurs comme GRTgaz que nous arriverons à nous positionner durablement dans cette filière.
W. de G. Cela nous a permis d’aller à la rencontre du marché français et de partenaires capables de nous accompagner dans le développement de la GH en France. C’est maintenant qu’il faut agir si nous voulons atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat.
Un groupe de travail national pour faire bouger les lignes
En mars 2021, avec 26 partenaires, GRTgaz a lancé un groupe de travail national dédié à la GH (GT GH).
Objectif ? Favoriser l’émergence de démonstrateurs et préparer l’industrialisation de la technologie en créant un contexte favorable à cette industrialisation : définition d’un cadre réglementaire national, soutien à des projets pilotes, identification des meilleurs business models, etc. Cinq membres du GT étaient présents au Salon Bio360 Expo et ont exposé les raisons de leur engagement.
« Par son dynamisme et sa pluralité d’acteurs, le groupe de travail sur la gazéification hydrothermale (GT GH) permet d’accélérer l’arrivée sur le marché de cette technologie et de mettre en place une filière industrielle, avec une forte représentation des acteurs français industriels ou scientifiques. En tant qu’ingénieur conseil, nous travaillons dans cette perspective. »
Fabien Michel, VOLTIGITAL
« Nos activités génèrent des boues d’épuration dont les voies de valorisation actuelles ne sont pas pleinement satisfaisantes. Le développement de la filière GH nous apparaît incontournable pour promouvoir cette solution et relever, avec l'ensemble des partenaires, les défis réglementaires et technologiques. »
Mathieu Boillot, responsable d’Axe stratégique, SAUR
« En tant qu’équipementier très impliqué dans la filière gaz, nous apportons le regard d’un fabricant, notamment sur la faisabilité des technologies au stade industriel, en application de nos programmes R&D. »
Fabrice Piotrowski, Directeur commercial, GAZFIO
« La GH fait partie des technologies qui seront nécessaires pour valoriser bon nombre de déchets liquides que la France aura bientôt à gérer. Au sein du GT GH, nous voulons être l’acteur capable de développer cette technologie à partir d’échelles laboratoire existantes. »
Paul Clemens, Leroux & Lotz Technologies
« Notre objectif est de devenir un acteur majeur dans le domaine de la GH. Nous avons l’ambition de démarrer un projet (démonstrateur) en 2022 en France, pour un début de réalisation en 2023 grâce à la technologie de notre partenaire Genifuel. »
Thomas Chauveau, Directeur Power & Gaz Renouvelable, VINCI Environnement